Première crevaison
Ce trou, je l’ai vu, bien sûr, aussi profond que large, pire qu’un nid de poule, un nid de condor. Comme Cyril a habilement déjoué jusque-là les pièges semés sur les routes de l’île de Chiloé, je ne lui dis rien. Il ne peut pas ne pas l’avoir vu. Eh ben, celui-là, il ne l’a pas vu, et on passe pile poil dessus ! Ou plutôt dedans. (Note de Cyril : je l’ai vu, ce trou, mais il était tellement grand que j’y ai pas cru. Je l’ai pris pour une ombre. Bref, c’est la faute au soleil). Aussitôt après, la roue avant droite se met à faire un drôle de bruit. On attend de sortir d’une succession de virages pour s’arrêter et constater les dégâts.
Déjà, l’enjoliveur a disparu. Et puis, l’acier de la jante est tout tordu à un endroit. Quant au pneu, il est… difforme. Bref, on n’est pas bien. (Note de Cyril : en même temps, ce pneu, dès le début, je l’ai pas senti. Disons que je l’ai achevé, hein ?). Cyril reste dans la voiture, warnings allumés, pendant que je remonte la route, histoire de voir si je peux retrouver l’enjoliveur. Une voiture me dépasse, ralentit pour savoir si tout va bien, et je lance au chauffeur un « No problemo ». Comment lui expliquer pour l’enjoliveur alors que je ne parle toujours pas espagnol ? Une minute plus tard, la même voiture revient vers moi, l’une des passagères agitant à la fenêtre notre enjoliveur. Ils m’embarquent et me ramènent à la voiture. Ah, la gentillesse chilienne !
Cyril a à peine le temps de sortir la roue de secours et les outils qu’une autre voiture s’arrête à notre hauteur. Un homme en sort, parle à toute vitesse et prend les choses en mains. Vu sa dextérité, le gars doit s’entraîner dans les stands de Formule 1… En trois minutes, il a démonté la roue. Quelques minutes encore, et la roue de secours est en place. Faut dire qu’il ne fait pas bon rester dehors à cet endroit. Il fait chaud d’abord, très chaud. Et puis, au bout de quelques minutes, une armée de bestioles volantes, sorte de gros bourdons à tête rouge, virevolte autour de Cyril et de notre bon samaritain. Qui nous conseille d’aller faire voir tout ça à Castro, la capitale de l’île. A peine a-t-on le temps de le remercier chaudement qu’il est reparti.
Problème : comment acheter un pneu et faire réparer l’ensemble (la jante est tordue) quand on ne parle pas la langue du coin ? Dans ce cas, l’expérience nous l’a montré, il faut essayer de faire les choses dans l’ordre… 1) Trouver un traducteur. 2) Appeler le loueur pour le prévenir. 3) Acheter un pneu (hors de question de rouler dans le coin sans roue de secours). 4) Faire réparer et vérifier tout cela… Pendant quelques minutes, on se dit que tout cela va nous prendre du temps, beaucoup de temps…
Puis, on se souvient qu’à l’office de tourisme de Castro, à 60 kilomètres, un petit gars fort sympathique parle la langue de Shakespeare (ils sont rares dans le coin). A petite vitesse, nous rejoignons donc Castro pour retrouver notre anglophone et lui expliquer notre problème. Cyril lui parle avec les mains, noires de graisse et de poussière, et c’est lui qui appelle le loueur, de son téléphone portable. Ouf, on n’aurait jamais pu se faire comprendre. C’est aussi à l’office de tourisme que nous récupérons l’adresse de Good Year (Note de Cyril : je ne dirai plus jamais de mal des offices de tourisme). On y arrive assez facilement. Cyril attrape un gars par le col de la chemise et mime nos exploits de la journée avant de sortir du coffre la roue hors d’usage. La vue de cette roue, et surtout de la jante défoncée, devient l’attraction de l’après-midi. Plusieurs têtes viennent se pencher dessus et Cyril doit expliquer plusieurs fois où il a réussi un tel exploit.
Le nouveau pneu dans le coffre, on nous lance un « mecanico ? » Ben oui, en effet, maintenant, il nous faudrait un garagiste. Sans plus d’explications, un gars de Good Year monte dans une camionette et nous invite à le suivre. On se retrouve avec lui dans un vaste atelier où notre cas est pris en main de suite et… gratuitement. Cyril regarde sa montre et me murmure « eh bé, problème réglé en 2h00, pas mal ». En effet, pas mal et grâce, reconnaissons-le, à une belle succession de coups de main…
(Note finale de Cyril : j’aimerais porter à l’attention des lecteurs qu’en 5 jours de conduite je n’ai écrasé aucun chien bien qu’ils pullulent ici sur les routes et ne suis entré en collision avec aucun autre véhicule alors que la gestion des priorités dans ce pays m’échappe encore. Bon, d’accord, j’ai pas vu ce trou béant dans la chaussée… D’accord… Au fait, cette note est intitulée « Première crevaison » parce que je suis d’un naturel optimiste ;-))
Même réparée, elle n’inspire pas encore vraiment confiance, non ?